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Funding loss : Cassation 11 mars 2021: le caractère réel du contrat de prêt n’empêche pas la requalification

Le 16 mai 2021
Funding loss : Cassation 11 mars 2021: le caractère réel du contrat de prêt n’empêche pas la requalification

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La saga continue dans la problématique de la funding loss (indemnité de remploi) réclamée par les banques lorsqu’une entreprise souhaite rembourser anticipativement des sommes que la banque lui a avancées. En février dernier, nous abordions déjà deux arrêts prononcés par la Cour de cassation les 27 avril 2020 et 18 juin 2020 et commentés dans l’article ci-joint.

Le 11 mars 2021, c’est un troisième arrêt important que la Cour de cassation vient de prononcer en la matière.

Par cet arrêt, la Cour de cassation rejette un argument très souvent invoqué par les banques pour plaider contre la requalification, en contrat de prêt, des contrats conclus avec les entreprises, à savoir le caractère réel du contrat de prêt qui exclurait qu'un contrat signé avant la remise des fonds puisse être qualifié de contrat de prêt.

 I.             Rappel de la problématique

Le montant qu’une banque est en droit de réclamer lorsqu’un de ses clients entend rembourser anticipativement un contrat de financement dépend de la qualification du contrat qui lie ce client à la banque. En vertu de l’article 1907bis du Code civil, si le contrat signé est un contrat de prêt, l’indemnité réclamée ne peut correspondre à plus de six mois d’intérêts. S’il s’agit d’un contrat de crédit, aucune limite légale particulière ne s’applique et la banque est en droit de réclamer l’indemnisation du dommage qu’elle subit du fait de cette rupture anticipée, à savoir, généralement, la perte des intérêts qu’elle aurait dû toucher si le contrat avait été exécuté jusqu’à son terme.

 Pour cette raison, les banques qualifient généralement les financements accordés aux entreprises de « contrats de crédit », espérant ainsi échapper à la limite des six mois d’intérêts en cas de remboursement anticipé.

Les Cours et Tribunaux ne sont cependant pas liés par la qualification donnée par les parties à un contrat. Un juge doit, au contraire, retrouver quelle a été l’intention des patries et déduire des clauses du contrat les caractéristiques intrinsèques à l’accord convenu entre les parties.

Un contrat d'ouverture de crédit se distingue ainsi d’un contrat de prêt en ce que le créditeur s'engage à mettre des fonds à la disposition du crédité qui a le droit, mais non l'obligation, de prélever les fonds ou de faire appel à ce crédit. Dans un contrat de prêt, cette liberté de prélèvement n’existe pas, le contrat se formant par la remise de la chose.

Depuis des années, lors du remboursement anticipé d’un contrat qualifié de contrat de crédit, les entreprises tentent ainsi de convaincre les Cours et Tribunaux de l’absence de liberté de prélèvement qui leur était applicable, en vue d’obtenir une réduction de l’indemnité qu’ils doivent payer à la banqueen raison du refinancement ou du remboursement anticipé de leur prêt.

II.           Thèse soutenue par les banques en matière de funding loss/indemnité de remploi

Bien qu’à notre connaissance, jusqu'ici, cette thèse n’ait été accueillie que de manière isolée par les juridictions de fond, les banques soutiennent classiquement, dans un litige relatif à la détermination du montant de la funding loss/indemnité de remploi, que le contrat conclu entre l’entreprise et la banque ne pourrait être requalifié en contrat de prêt puisqu’il est toujours signé avant que l’entreprise ne touche les fonds avancés par l’établissement bancaire.

Or, le contrat de prêt est un contrat réel, ainsi que le prévoit l’article 1892 du Code civil, en vertu duquel le prêteur transfère, en une seule fois, la totalité du montant prêté à l'emprunteur, contre remboursement, avec intérêt, à une date déterminée ou à des échéances déterminées. En vertu de ce caractère réel, le contrat de prêt ne nait qu’au moment de la remise de la chose à restituer, et non pas par un simple échange de consentement, comme un contrat de crédit.

Dans son pourvoi préalable à l’arrêt commenté du 11 mars 2021, Belfius Banque soutenait que cette définition et ce caractère réel du contrat de prêt impliquait que :

« une opération de crédit prévoyant la mise à disposition ultérieure des fonds ne pourrait être qualifiée de prêt puisque, en raison de son caractère réel, le contrat de prêt n’est valablement formé que par la remise des fonds elle-même, laquelle ne peut, par essence, être l’objet, en tant que telle, d’une obligation pesant sur la banque ».

« De même, le contrat prévoyant une commission de réservation conduit à exclure la qualification de prêt dès lors qu’elle est destinée à indemniser la banque des conséquences de la mise à disposition des fonds et partant, de leur indisponibilité notamment pour d’autres opérations ».

Cet argument, très souvent avancé par les établissements bancaires à ‘l’appui de leurs prétentions, a toutefois été rejeté par la Cour de cassation dans son arrêt du 11 mars 2021.

 III.        L’arrêt de la Cour de cassation du 11 mars 2021

Dans son arrêt prononcé le 11 mars 2021, la Cour de cassation a, en effet, rejeté le pourvoi introduit par Belfius Banque contre une décision prononcée par la Cour d’appel de Bruxelles le 25 janvier 2018 en décidant que la Cour d’appel avait pu légalement, requalifier un contrat qualifié « de crédit » par les parties, en contrat de prêt, dans la mesure où la juridiction de fond avait souverainement constaté que :

-       le crédit devait être entièrement prélevé dans les neuf mois après sa mise en force ;

-       le crédit était destiné à l’acquisition de la totalité des parts de la société Immo 1080 ;

-       le montant du crédit correspondait exactement au prix de cession des parts ;

-       la mise à disposition du crédité ne pouvait avoir lieu qu’après la production par le crédité de la convention définitive de cession de parts et des coordonnées complètes du cédant ;

-       le montant du crédit devait être liquidé par remise d’un chèque à l’ordre du cédant ;

Et que par conséquent, au yeux de la Cour d’appel de Bruxelles, aucune liberté de prélèvement n’existait aux motifs que :

 -       « eu égard à [la] finalité précisée, la faculté de prélèvement sur une période de neuf mois prévue par le contrat était, dès sa signature, purement théorique »

-       « les dispositions de la convention témoignent de la volonté des parties de voir tout le montant du crédit remis au crédité et celle de la banque de s’assurer de la destination des fonds par une remise unique et concomitante à l’acquisition des parts de la société Immo 1080 »,

-       et que cette « volonté commune des parties […] que les fonds soient entièrement et rapidement utilisés […] est confirmée par l’exécution du contrat ».

La Cour de cassation précise, à cette occasion, explicitement que cette déduction de la Cour d’appel de Bruxelles ne viole pas l’article 1892 du Code civil qui définit le contrat prêt et en consacre son caractère réel en ce que « Le caractère réel du contrat de prêt ne fait pas obstacle à ce que les parties s’engagent préalablement par une promesse réciproque à livrer la chose et à l’accepter, laquelle se dénoue en un prêt par la remise de la chose ».

Autrement dit, le contrat signé par les parties, antérieur à la remise des fonds s’analyse, selon la Cour de cassation, comme une promesse réciproque de prêt. Le contrat de prêt, en lui-même, ne nait, en revanche, que par la remise des fonds par la banque.

 IV.       Conclusion

On peut conclure de cet arrêt qu’aucun obstacle juridique n’empêche les Cours et Tribunaux de continuer à réduire l’indemnité de funding loss/indemnité de remploi réclamée par les banques lors d’un remboursement anticipé des fonds, en constatant qu’au jour où le remboursement a eu lieu, les parties étaient engagées dans un contrat de prêt et non pas dans un contrat de crédit. A cette fin, les Cours et Tribunaux devront cependant conclure que le contrat signé entre les parties était une promesse de prêt suivie, dans les faits, de la naissance d’un contrat de prêt lors de la remise des fonds.
Le nœud de la problématique résidera donc toujours dans l’analyse factuelle de chaque dossier et de la pertinence des clauses insérées par les banques dans les contrats conclus avec les entreprises.


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